VII. LA FÊTE DES EAUX

Publié le par oth

VII. LA FÊTE DES EAUX

Jeanne LEUBA

Phnom Penh 1922

Première lune de Novembre. Les orages torrentiels de l’été s’achèvent. Le Palais annonce la Fête des Eaux.

Fête des Eaux qui soulève chaque fois d’une joie extraordinaire, une joie fourmillante, enfiévrée, impatiente comme celle de cette population cambodgienne qui se met à bouillir, telle une cuve de raisin en fermentation.

Tout s’anime. On prépare, contre la berge du Mékong, la Maison Flottante dorée du roi et la Jonque-Dragon, amarrée auprès d’elle devant l’immense paysage vert et bleu – si tendrement nuancé le soir – du confluent des Quatre-Bras. A leur droite, on construit, sur la pente de la rive, les tribunes parallèles au fleuve, qui seront pleines à craquer. Les environs du Palais se garnissent de petits boutiques volantes ; on tape, on cloue, on lie ; les bambous se dressent, la paillotte bruit comme des taffetas. Les trottoirs se couvrent d’échoppes où arrivent fourneaux de terre cuite, ustensiles, provisions, boissons. Fourmilière agitée des djinns de Marouf…

En ville, tout frémit, tout vibre, tout s’apprête. Les rues battent comme des cœurs à nu. Le monde du harem s’agite dans le mystère du gynécée. A l’ombre des pagodes, le concile d’or des bonzes s’évade des méditatives torpeurs.

Pétillement de l’atmosphère, électricité dont les étincelles crépitent du ciel sur terre. Divine Fête des Eaux !

Venue de tous côtés, lentement monte, dans Phnom Penh envahie, la crue des arrivants surexcités d’attente.

Sur l’eau, le roi et ses invités. Dans les tribunes, écrasement de spectateurs jacassant.

Les berges en surplomb du fleuve, couvertes d’une foule multicolore, Chinois, Annamites, Cambodgiens, Hindous…

Les Quatre-Bras étendent devant Phnom Penh leur nappe où le Mékong, venu du Laos, se plie vers Saigon, envoie le Bassac vers le Sud parallèle à lui et reçoit du Nord le Tonlé Sap qui coule six mois dans un sens et six mois dans l’autre.

Tendue entre deux barques, sur le cœur de cette éblouissante astérie liquide, la corde sacrée est à peine visible. Tout le paysage, flamboie en soleil et de réverbération.

Aux milliers de regards, un seul objet : le grouillement de pirogues serrées à leur point de départ, en avant du Yacht royal, palette turbulente d’équipes rouges, roses, orangées, bleues, vertes, violettes, chacune avec son chef à rame d’honneur et son bouffon qui hurlera de roi des improvisations pour faire s’esclaffer la haie humaine.

Un signal. Grondement de joie de la foule. Déjà se détache de la rive le léger esquif où s’est assis le bakou(1) chargé du geste symbolique.

Tandis qu’il vogue rapidement, la flottille, mise en rumeur comme une ruche qui essaime, désagrège ce qui semblait un emmêlement inextricable et dès que, là-bas, le glaive a frappé la corde, on voit subitement voler, aux cris sauvages des quarante rameurs, aux moulinets de rames d’or de leurs chefs et aux couplets à gorge forcée des bouffons contorsionnés en battant des mains, debout au milieu, les longues pirogues effilées, relevées de poupe et de proue, décorées, sculptées, dont les minces étraves font gicler les eaux limoneuses en acanthes saumonées.

Un mouvement prodigieux, rythme et frénésie, emporte chaque barque avec l’élan d’une navette lancée dans une trame. Et les milliers de têtes tournent ensemble pour suivre leurs éclairs sur les flots.

Arrivées à leur but, là-bas, sur le Tonlé Sap embrasé de lumière, elles virent su place ; geste merveilleux dont l’incomparable beauté couple le souffle, car elles tournent net, en plein élan, avec une souplesse de bête.

Et elles reviennent vers le Roi, folle de vitesse, doubles rangées de rame frappant avec une passion enragée, mille-pattes géants aux corps de pastel, aux corps de fleurs…

Couleurs vives des sampots, sur l’eau et sur la berge, brocarts lamés des princesses et des ministres, toges de neige et d’or des bakous, robes claires des Françaises, tuniques saphir, émeraude, améthyste, grenat des Annamites, blancheurs des complets de toile, des vestes de soie chinoise, fulguration des fleuves, papillotage des étendards, vociférations des piroguiers ruisselants de sueur, claquements de paumes des pitres qui s’égosillent, vacarmes des gongs des arbitres en rouge, acclamations et clameurs, fracas de la musique de tagale constituent une atmosphère inouïe de liesse tropicale.

Enchantement qui fait bondir le sang, brûler les nerfs d’exaltation. On voudrait que dure sans fin ce survoltage de tout l’être, emporté loin des platitudes quotidiennes, des quantièmes et des millésimes, rejeté dans une époque où l’âme humaine suintait de mystères allusifs brûlants.

Venus des plus profondes racines de la vie, ils s’incarnaient aussitôt dans des symboles plastiques spectaculaires qui, par le seul génie de créatures primitives, atteignaient d’emblée leur maximum d’éclat.

Lentement affaiblis par l’évolution d’une population qui ne comprend plus les arcanes cachées en eux, ces symboles vont s’appauvrir et disparaître, et nous nous accrochons à leur ultime vision.

Mais les rites commencent assez tard à cause du soleil, dont les hommes d’aujourd’hui appréhendent la rude magnificence.

Bientôt, un divin crépuscule succède au couchant et des herses de lumière s’allument partout en même temps, repoussant derrière les brumes légères du soir le phare de Chruy Chanva, tout proche, au tournant du Mékong, et la plus lointaine point de Koh Norea, à droite, dans un brasier de scintillement, se prépare la fête nautique.

Peu à peu, le sauvage délire des pirogues se calme. Les joutes sont finies. Primées ou vaincues, les équipes amollies viennent s’échouer une par une à leur point de ralliement, tandis que la nuit, vite tombée, se crible d’astres dont les diamants dansent sur l’eau devenue noire.

Et voici que l’air et les cieux flamboient d’un halo d’incendie. Les Quatre Bras saluent d’une explosion d’apothéose l’apparition des barques illuminées. Lancées d’un radeau au milieu du confluent, des fusées commencent à s’élever comme si elles sortaient du Mékong, et le défilé incandescent se met en route.

Viennent en tête des chaloupes pavoisées de drapeaux électriques, couronnées d’étoiles éblouissantes. De grandes jonques les suivent, transformées en dragons de feu, en oiseaux de lumière, en poissons phosphorescents ; des paons ocellés de bleu, de vert et de jaune déploient leurs traînent de pierreries ; des paniers de fleurs magiques brillent comme dans un jardin de paradis et, suivant doucement à la queue leu leu leur invisible chemin sur les liquides ténèbres, passent enfin des nefs de pêcheurs enguirlandées de lampions et des lanternes huilées des soirs de procession, an animaux fanatiques, en châsses translucides, en personnages comiques et en insectes grossis à la taille des tigres.

Articulés et transparents, ils oscillent et saluent, zébrés de lueurs mobiles par leurs bougies intérieures.

Au-dessus de ce brasillement qui se reflète sous les coques, les fusées multicolores du feu d’artifice ne cessent de s’ouvrir, ombelles merveilleuses dont les corymbes glissent en s’éteignant, comme des rêves trop rapides.

La houle dense de faces foncées n’est plus qu’yeux envahies d’extase, bouches qui crient sans apercevoir.

Un féerique serpent lumineux va maintenant refaire inlassablement, par un long va-et-vient glissé, le trajet des pirogues, arrêtées à présent dans le même emmêlement fougueux, plein de chocs et de cris, d’où bondissent des jeunes hommes qui s’élancent vers la ville, pressés de s’amuser, eux aussi, après avoir été orgueilleusement le point de mire de cette journée.

Le roi se retire, avec sa suite et ses dignitaires. Des invités européens s’en vont. Sur la route, c’est un embouteillage et un pêle-mêle indescriptibles de véhicules cornant, klaxonnant, manoeuvrant dans tous les sens, sous les apostrophes et les injures des policiers et des chauffeurs.

Les limousines officielles, ornées de leurs fanions, s’éloignent les premières, dégageant à l’espace au sommet des escaliers de berge.

Mais la foule n’a cure de ces départs. Un fluide ardent continue de baigner cette multitude soulevée de plaisir.

Sur les flancs du Palais, aux contours cernés de rampes lumineuses douces comme une fluorescence, les petites barques foraines, les restaurants et les jeux attirent l’afflux des piroguiers, des paysans et du menu peuple. Kermesse bruyante et cordiale, sans disputes, sans rixes, qui grouille dans la pénombre des peties ues sous les arbres. On se laisse aller à dépenser, à acheter, à se régaler, grisé par la gaieté collective. Ne faut-il pas que de belles choses et de beaux souvenirs soient rapportés à la case du village lointain ?

Au Palais, la Salle des Fêtes se remplit, les danseuses s’habillent en bruissant dans la coulisse. Un ballet va être donné, auquel assisteraient des invités de marque. Quelque légende déroulera lentement ses tableaux mimés, scandés par la mélopée et les kràp des vieilles femmes ; les pierreries, l’or, les paillettes et les brocarts scintilleront sur ballerines fardées de curcuma, qui retrousseront leurs doigts minces et croiseront sur le sol leurs orteils ployés, en fléchissant sur des genoux élastiques.

Il y aura les deux coryphées rutilants, avec leurs émeraudes et leurs diamants, leurs masques impassibles et leur féroce jalousie au cœur.

Il y aura le bouffon loqueteux et ahuri, dont les saillies mettront les Cambodgiens en joie.

Il y aura l’armée terrible des Râkshasas, dont les masques de montres étoufferont des ratons de sept ans.

Et dehors, sur tout le vieil empire encore miroitant d’eaux, l’immense clair de lune silencieux, le clair de lune d’argent froid qui touche, au fond des halliers, les ruines sombres des villes mortes…

Comme pour toute cérémonie relevant d’une tradition, il est très difficile de comprendre la Fête des Eaux, ou de l’ensemble des rites qui finirent par être désignés sous ce nom. En effet, dès qu’on veut en étudier de près la pensée et sortir ainsi de la simple impression pittoresque, les recherches s’engagent dans cent directions, et l’on se trouve entraîné extrêmement loin, amené à faire des comparaison avec d’autres peuples et d’autres fêtes, à passer d’une religion à l’autre, dans un mélange inextricable pour les profanes. C’est donc là l’œuvre des savants, de spécialistes dont la patience et les connaissances s’associent pour rechercher les mystérieuses origines de réjouissances dont le public ne voit que le brillant aspect.

Peu d’écrivains se sont, jusqu’ici, intéressés à cette Fête des Eaux, qui marque à peu près la fin des grandes pluies et des inondations aux Cambodge et l’époque de renversement de courant, ce singulier phénomène par lequel le Tonlé Sap coule, une partie de l’année, du Sud au Nord, au moment de la crue du Mékong, refoulant les eaux de Phnom Penh vers le Grand-Lac, et d’autre partie, du Nord au Sud, parce que le Mékong baissant, l’énorme masse d’eau emmagasinée dans les lacs s’écoule à nouveau normalement vars la mer.

En 1904, Adhémar Leclère, administrateur des Services Civils, résidant au Cambodge, établit une première étude qui parut dans le Bulletin de l’Ecole Française d’Extrême-Orient (tome IV, 1904). Mais cette louable tentative ne pouvait rien avoir de définitif et ne posa qu’un certain nombre de données dont certaines avaient plus tard apparaître justes tandis que les autres se révélaient erronées.

Des indications beaucoup plus précises ont été fournies par Mme Evelyne Maspéro, dans l’ouvrage publié en collaboration avec son mari, M. Guy Porée (Mœurs et Coutumes des Khmers, Paris, Payot 1938).

Tout d’abord le nom même de Fête des Eaux doit être attribué aux Européens, qui en ont vu surtout le côté nautique : courses de pirogues, défilé de barques lumineuses, séjour du roi dans la Maison Flottante, sectionnement de la corde tendue au milieu du fleuve. Ces réjouissances ont toujours lieu au moment de la pleine lune (idée de fécondité) et elles coïncident avec la date des premières moissons dans les parties hautes du pays.

Les eaux à leur maximum, déjà commencent à se retirer, et, des marais qu’elles laissent derrière elles, montent des miasmes mauvais. Obtenir que les eaux emportent avec elles les germes de maladies, mais qu’elles reviennent néanmoins en temps utile pour amener les futurs moissons, tels sont les buts que, tout naturellement, on peut avoir cherché à atteindre.

Que la fête ait un rapport avec les moissons, la chose est certaine. La nuit même où le roi salue la lune, dans tout le Cambodge, les paysans se réunissent pour saluer : ensuite, par le nombre de gouttes de cire qui se sont étalés sur des feuilles de bananiers, ils tirent des présages sur les moissons de l’année suivante : le rite de divination peut-être aussi un rite de génie sympathique. Par ailleurs, lors de la fête des moissons que célèbre une tribu Thaï du Tonkin, tous sorciers étaient présents, le sacrifice aux ancêtres ayant été accompli, les assistants ayant participé à un festin au cours duquel ils se sont couverts d’une espèce de fruit dont les piquants s’attachent partout, l’assemblée sort de la maison du chef où a eu lieu la réunion. Au pied de l’escalier on a apporté une vieille pirogue dans la quelle prenne place face un homme et une femme. Tous deux, armés d’un long bâton, commencent un jeu qui consiste à choquer le haut et puis le bas des bâtons, suivant une cadence qui est fixée par les assistants. Celui qui se trompe est éliminé. Les vieillards commencent et cela dure trois nuits.

De ce rapport entre moissons et pirogues, Mme Maspéro passe aux tambours de pluie, que tous les coloniaux connaissent plus ou moins ; grands instruments de bronze que l’on trouve au Laos, dans certaines régions moïs dans le Haut-Tonkin, et dans le Sud de la Chine. Ils sont décorés de grenouilles, de pirogues et de multiples figures magiques. Et par le décor, sur l’un d’eux, d’une frise de margouillat(2) qui évoque nettement une tradition annamite concernant le 5 du cinquième mois, l’auteur arrive à la Chine antique, où, ce même jour exactement, des courses nautiques devaient avoir lieu « Pour rechercher le poète Kiu Yuan qui se jeta dans la rivière Milo ». De nos jours encore, le 5 du cinquième mois l’on offre à Kiu Yuan des gâteaux triangulaires et ce jour, qui est aussi le jour du sacrifice à la terre, ont lieu les fêtes des bateaux-dragons. Ainsi, Dartige du Fournet notait(3), en Juin, dans son journal : « Dès l’aube, la fête du Dragon a commencé, emplissant le fleuve d’un affreux tapage. D’immenses pirogues pavoisées circulent en tous sens, poussées par soixante ou quatre vingt rameurs, semblent fouiller tous les coins des berges. A l’avant, un homme agite un drapeau rouge ; au centre, des gongs, des cymbales, des tambours, marquent la cadence des avirons ; l’équipage entier contribue à ce concert assourdissant en poussant des cris de bête fauve ».

Ne retrouvons-nous pas, d’extrêmement près, le spectacle cambodgien ? Au Tonkin, le culte de deux serpents guérisseurs d’épidémies et pourvoyeurs de pluie obligeait à construire des bateaux et donnait lieu, pendant trois jours, à des courses de pirogues qui furent supprimées en 1862.

« Voilà donc un rapport qui me semble nettement établi », dit l’auteur, « entre les courses de pirogues et les Dragons, Serpents ou Poissons, car les gens du Founan avaient des bateaux à tête et à queue de poisson, dispensateurs de pluie. »

Mais, de plus, existe à Phnom Penh un autre rite, revêtu d’une grande importance dans le déroulement de la fête : l’acte de brahmane qui s’avance avec un sabre pour trancher, au milieu des eaux, une corde tendue entre les deux radeaux. Cette corde était autrefois une lanière en cuir de buffle (la lanière en cuir de buffle sert à la capture des éléphants et est aussi employée contre les mauvais esprits). Au Siam, jadis, lors de la même Fête des Eaux, le chef religieux frappait les flots de son épée. Et voici de nouveau, si nous suivons les passionnantes déductions de Mme Maspéro, que nous apparaissent les bifurcations de pensée et les mélanges de symboles qui rendent de telles études si compliquées. Les Européens, influencés par l’époque de changement de direction du Tonlé Sap, ont voulu voir dans le sectionnement de la corde une permission du roi, autorisant le fleuve à renverser son courant. Explication simpliste, qui témoignait d’une ignorance complète des gestes et des idées de magie accumulés à la base des rites. En réalité, le sectionnement de la corde, avec la hurlante et sauvage ruée des pirogues qui la suit, serait une conjuration contre les Esprits : amassés derrière l’obstacle dressé en travers du fleuve, ils seraient subitement chargés et pourchassés avec violence par les pirogues qui se précipiteraient sur leur foule et la reconduiraient au loin en déroute ; ces Esprits personnifient les pestilences, épidémies et autres fléaux mortels.

D’après Mme Maspéro, « il faudrait voir là un transfert de rite » la véritable coutume primitive étant le coup de sabre dans l’eau qui se pratiquait encore au Siam au XVII ème siècle. Il aurait une signification nettement sexuelle : Dans la Chine ancienne, les joutes sexuelles se tiennent au temps de crue près des confluents où (symbole d’exogamie) deux rivières mêlent leurs eaux ; près de leur confluent se trouve le Lieu Saint où, à l’époque des grandes eaux, se font des sacrifices qui sont des mariages sacrés ; on dit que des rivières joutent ensemble quand elles mêlent leurs eaux débordées. A Phnom Penh, la Fête se passe à l’endroit où le Tonlé Sap rejoint le Mékong : lorsque la Cour se trouvait à Oudong, les courses avaient lieu soit près de la jonction du Krang Banyeay et du Tonlé Sap, à Kompong Luong, soit dans un étang de Oudong où se réunissaient les eaux des divers canaux au moment des crues…

D’autre part qu’il y ait une idée d’union sexuelle dans la Fête des Eaux, je n’en doute pas ; les unions sexuelles ont, dans toutes les civilisations, facilité par magie sympathique l’abondance des moissons. Lors de la Fête des Eaux, le roi s’en venait vivre sur l’eau avec ses femmes ; autrefois, sur le fleuve, se promenait, à ce moment, des barques pleines des chanteuses et des pirogues où se trouvaient des fonctionnaires. Moura et Leclère ont rapporté des chants de bouffons dans les pirogues de course ; ils sont pleins d’allusions sexuelles.

Beaucoup d’autres choses seraient à citer dns l’étude érudite de Mme Maspéro. Tant de mythes se cachent derrière les jeux dont nous ne retirons qu’un enchantement visuel toujours renaissant.

Au cours de trois de fête alternent ou s’entremêlent des rites d’origines diverses, quelques uns bouddhiques, la plupart brahmaniques greffés sur d’antiques coutumes animistes, conclut M. Guy Porée, dans le si amusant chapitre VI, dû entièrement à sa plume.

Il nous dévoile que les splendides pirogues de courses viennent des monastères de la proche campagne. Chacun en possède une ou deux, gardées au sec sous les ombrages de la bonzerie. Une femme n’y saurait toucher, ni même passer devant sans risquer la mort ; elle aurait en tous cas des douleurs d’entrailles, et, si elle est enceinte, l’enfant ne verrait pas le jour. Le Génie protecteur de la pirogue se vengerait également en ralentissant celle-ci lors des courses ou en la faisant verser.

La veille de la remise à l’eau pour le rendez-vous au Quatre Bras, un sacrifice est ouvert aux Génies et des offrandes déposées dans chaque embarcation, sur de petits radeaux de feuille de bananier : riz, bétel, encens, bougies, fruits, fleurs, écharpe nouée. Au moment de la cérémonie – très colorée et très pittoresque – le bonze qui en était le gardien apporte les yeux enlevés au retour des pirogues et on les leur recloue au son de musique et de cris. Puis, elles sont mises à l’eau, les petits radeaux d’offrandes lancés vers les Esprits, sur le courant, et les beaux esquifs ciselés et dorés s’en vont vers leur chance…

Jeanne LEUBA

  1. bakou : prête brahmanique
  2. margouillat : petits lézards familiers
  3. Dartige Du Fournet: Journal d’un commandant de La Comète. Chine – Siam – Japon (1892-1893)
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article