JEANNE LEUBA

Publié le par oth

JEANNE LEUBA

Par elle-même

« Le reste - mon échec – n’a pas d’histoire. Abeille sauvage qui ne pouvait que s’enivrer mortellement et qui voulait créer du miel sans savoir le faire, j’ai tiré pour ma ruche un peu de sucre d’un peu de paille. » JEANNE LEUBA

Christiane Fournier me dit : « Je ne sais si je dois vous classer parmi les poètes ou les prosateurs, ou parmi les deux. »

A tant de point de vue, chère directrice, on ne sait dans quoi l’animal classer que je suis ! Artiste ou bourgeoise ?

Née sous les brumes de Novembre, j’ai chéri le soleil en adorant l’hiver. Musicienne, j’ai tombé dans l’écriture. Errante, j’ai l’instinct de trou de grillon. Fille, dit mon état civil, garçon manqué, disaient les gens.

Un être tout en contraires et en directives. Peut- être n’est- ce pas très agréable pou vivre… Chevelure de nerfs où tout s’accroche pour blesser. Volonté à angles comme une nurse anglaise, qui peigne ça sans cesse, pour établir un ordre apparent.

La littérature ? Ma plus belle gaffe. Lorsqu’elle me portait, ma mère m’a intoxiquée. Mon père, penché sur ses admirables dessins, travaillant tard dans la nuit ; elle lui faisait la lecture des heures. Tous les classiques y ont passé. Ma gestation se faisait sous Racine, Corneille, Molière, Shakespeare, Byron, Goethe, Schiller ou le Dante comme à travers Cervantès, l’Arioste, Scarron, Swift, Voltaire, Montaigne et Mme de Sévigné. Qu’elles fussent de Platon, d’Aristophane, de Rabelais, de Cazotte, de Le Sage, de Marmontel, des périodes et des périodes m’enveloppaient, et qu’ils soient signés Hugo, Lamartine ou Musset, les beaux rythmes du monde pénétraient dans mon cocon pour imprégner le petit fœtus déjà en possession de ce qui serait son âme.

A trois ans et demi, dans un rapide international, je parcourais sagement un journal que mon m’avait abandonné. Un voyageur grincheux remarqua à haute voix :

  • C’est malheureux de voir des enfants aussi prétentieux ! Ca fait semblant de savoir lire, à cet âge-là !
  • Si vous voulez qu’elle vous serve de lectrice ? rétorqua mon père, goguenard.

Quant à moi, je me vengeai illico, avec le mépris serein que j’avais probablement déjà pour les imbéciles :

  • Tu en as un ongle, au petit doigt ! Est-ce que ça te sert de cure dents ?

Le wagon s’esclaffa.

Une jeunesse longue et magnifique. Longue somme étaient longues les années à cette époque : au moins le triple d’aujourd’hui. Magnifique comme l’âge où l’on peut croire et l’on ose espérer. Le clavier du matin au soir. Tous les classiques encore, mais ceux de la musique. Trios, quatuors, concerts. Royaume enchanté. Ecrire, derrière cela, comme un vice secret. Des nuits de veille, pour rimer, pour conter. Chose étrange : Musset, qui a soulevé tant d’adolescences ne m’attirait pas. Mais Laforgue, Corbière, Ephraraïm, Mickhaël.

Peu à peu, j’ai délaissé les vers. Je sentais qu’ils se bornaient à une expression momentanée, à ce qui est jolie plus qu’à ce qui est beau et qu’ils ne pouvaient jamais atteindre l’ampleur, l’élévation des fresques en prose. Sorte de carence d’espace. Quel poème traduirait un livre Giono ? Aucun. Le plus parfait arriverait peut-être à rendre et encore ! – un épisode comme l’enterrement sur la montagne.

Le reste - mon échec – n’a pas d’histoire. Abeille sauvage qui ne pouvait que s’enivrer mortellement et qui voulait créer du miel sans savoir le faire, j’ai tiré pour ma ruche un peu de sucre d’un peu de paille.

C’est pourquoi, chère amie, il serait plus prudent de ne me placer ni dans les poètes, ni dans les prosateurs.

Disons, si vous le voulez… une plumassière.

BIBLIOGRAPHIE

La tristesse du soleil, vers, Plon, 1913

L’ombre nuptiale, roman, Plon 1919

L’aile de feu, roman, Plon, 1920

Erick en exil, roman, Perrin, 1923

La brève lumière, roman, Flammarion, 1930

UNE EDITION DE LUXE :

Les Chams et leur art, étude, Van Oest, 1923

EN REVUES ET JOURNAUX

Les oiseaux du Lac Stymphale, roman

Sous le vent du Mousson, roman

Dans les ombres du jour, roman

Le mystère de Bel-Abri, roman

Rubis de Siam, roman,

Le poignard courbe, roman

L’innocente, roman

1 volume de vers ; 3 volumes de voyage ; 5 volumes de contes et nouvelles ; 1 volume de grandes nouvelles : Les deux nuits de l’As de Trèfle, La roue du temps, L’ingénus malgré lui, Le métis ensorcelé, Condiments. Une grand étude documentaire sur la crémation du roi Sisowath.

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