HENRI MARCHAL

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HENRI MARCHAL

Le 12 avril 1970, l’architecte Henri MARCHAL mourut à Siem-Réap à l’âge de 94 ans. Et ce n’est certes pas là un disparu dont il n’y ait rien à dire.
C’est le 24 juin 1876 que naquit à Paris, au foyer de l’ingénieur MARCHAL, auxiliaire du célèbre Gustave EIFFEL, le petit garçon destiné à devenir l’un des plus remarquables Conservateurs des immenses sanctuaires d’Angkor.
Son attirance vers l’exotisme se manifesta très tôt, car ce fut à l’Exposition Universelle de 1889 que l’enfant, à peine au seuil de ses treize ans, fut si vivement frappés par les éléments asiatiques de cette grande foire, qu’il n’en oublia plus jamais le choc et resta hanté par l’Extrême-Orient.
Après ses études aux Beaux- Arts, couronnées par le diplôme d’architecte D.P.L.G., Marchal répond à un appel des Travaux Publics d’Indochine et part en Cochinchine. Il est affecté aux bureaux de Saigon et c’est là que véritable son destin l’attendra.
Le 23 mars 1907 fut signé à Bangkok le traité qui rendait au pays khmer sur les instances de la France, les trois provinces de Battambang, Sisophon, et Siem-Réap, perdues par lui depuis 1794.
Durant ces 113 ans, le Siam avait totalement abandonné Angkor, dont la terrible jungle tropicale s’était férocement emparée. Des villes conquises seuls, les merveilleux prasats, en matériaux durs avaient survécu. Mais, écartelés par des racines, ils s’étaient effondré en partie, la chute d’une unique pierre entraînant un pan de mur, dans cette construction géniale pour la forme, infantile quant à la technique.
La tâche de les sauver fut confiée par S.M. le roi Sisowath, à l’Ecole française d’Extrême-Orient (EFEO). Celle-ci, créés en 1898 par Paul Doumer et le grand indianiste Louis FINOT, avait organisé, dès 1900, un Service Archéologique, dont l’architecte D.P.L.G., H. Parmentier était le Chef depuis 1905. C’est donc à lui que revient cette lourde responsabilité.
A cette époque, les européens étaient loin d’être nombreux en Indochine. Faute de professionnel sous la main, H. Parmentier désigna donc, en 1908, comme premier Conservateurs des Ruines, Jean COMMAILLE, artiste de valeur, travailleur acharné que rien ne rebutait dans la vie très dure alors exigée par ces fonctions. Son absence de diplôme n’avait, à ce moment, pas d’importance, la besogne du début consistant à enlever la végétation, poser des étais provisoires et trier les morceaux sculptés des simples blocs de construction, parmi les effondrements dangereux que le débroussaillement découvrait.
Jean COMMAILLE, qui vivait seul dans une misérable paillote plantée au bord d’un marais, sur la chaussée d’Angkor Vat, et presque sans ravitaillement, fut assassiné en 1916 par des pirates chinois, alors qu’il transportait, sur une route de forêt, la paie de ses coolies.
C’est ainsi que MARCHAL sortit de l’ombre. Cet inconnu sollicita la place devenue tragiquement vacante et y fût admis.
De son activité et de sa passion, égales à celles du disparu, découlèrent au fil des ans, des résultats spectaculaires. Une quantité d’édifices sortirent de leur désordre catastrophique. Des voies soignées relièrent entre eux les sites archéologiques. En même temps, les aident extérieurs se multipliaient. Les crédits augmentaient, les chantiers se développaient ; la vie matérielle du Conservateur devenait moins pénible. Une petite maison avait été construite à Siem-Réap ; une auto remplaçait le pauvre poney sur lequel il fallait faire des lieues en plein soleil pour aller surveiller les équipes. La route de Phnom Penh était venue assurer des communications faciles en constantes. Angkor n’était plus uniquement tributaire du service des Messageries Fluviales sur le Tonlé-Sap, durant les hautes- eaux, ce qui avait privé Commaille du secours qui l’eut peut-être sauvé.
Enfin, l’important soutien pour un homme de brousse: Marchal était accompagné d’une femme artiste et intelligente et d’une fillette qui devint dessinatrice et publia un précieux relevé des costumes et des coiffures sur les bas-reliefs.
En 1924, il découvrit et boucha le canal qui avait été creusé pour dériver l’eau de ses fossés dans la rivière de Siem-Réap et la ramena ainsi dans les douves desséchées d’Angkor Vat ; ce qui transforma complètement l’aspect de l’admirable monument, en lui rendant son admirable enchâssement d’ondes lumineuses.
En 1930, Marcal fut envoyé en mission à Java pour y étudier le procédé sûr et délicat d’anastylose, appliqué par les Hollandais aux tjandis de cette île.
Dès son retour commença, en 1931, au moyen de cette technique, la série d’admirable relèvement de sanctuaires écroulés. Banteay Srei, le joyau miniature auquel reste attaché, par le souvenir d’un scandale sordide, le nom d’un homme connu, fut le premier rendu à son intégrité antique par Marchal, qui y consacra trois ans d’efforts et d’un talent sans failles, tout en menant à bien une quantité d’autres initiatives.
En 1936, la carrière administrative de H. Parmentier étant révolue. Marchal lui succède comme Chef du Service Archéologique. Un nouveau conservateur d’Angkor est donc formé par Marchal, qui abandonne ensuite la Conservation à l’excellent architecte Georges TROUVE.
Mais des circonstances pathétiques n’ont pas fini de l’attacher aux ruines. Le jour où la famille attristée, déjà à Phnom Penh, déjeunait chez moi en attendant son départ dans l’après-midi, un télégramme, tombant comme la foudre, nous annonce la mort tragique de son jeune successeur.
Il faut repartir le jour même et Marchal reprend la direction de chantiers, abandonnés par lui si peu de temps.
Puis, c’est la nomination d’un quatrième Conservateur, aussi remarquable que ses aînés, Maurice GLAIZE. Marchal reste un an avec lui pour le mettre au courant de la vaste entreprise en cours.
Nous atteignons 1937. Marchal rentre en France. Son beau rêve est fini.
Or, durant la guerre, il perd sa femme. Sa fille est mariée depuis longtemps. Solitude, vide morne des jours sans but. Il ne peut supporter sa dépression, cherche à s’en s’échapper et s’y réussit : Pondichéry lui offre une surveillance de travaux archéologiques. Le voici aux Indes, un peu moins malheureux.
Le destin joue alors encore une fois en la faveur de celui qui n’a jamais cessé de regretter le passé : en 1947, une galerie d’Angkor Vat s’effondre. Les troupes sociaux ont désorganisé tout le travail, l’insécurité arrête les chantiers ; le poste est sans titulaire, GLAIZE étant parti dès que les communications ont été rétablies, après les neufs mois de camp de concentration à Phnom Penh, sous la férule japonaise.
Marchal se trouvant à portée, est rappelé d’urgence pour secourir le magnifique sanctuaire. Après dix ans d’absence, il est ramené à ce qu’il a tant aimé : Il tient encore son poste jusqu’en 1950. Il a alors 74 ans, et retourne en France pour la seconde fois.. Va-t-il mourir dans sa petite propriété à Meudon ? Non. Ce vieil homme, intoxiqué par l’Asie, ne peut plus se dépasser d’elle et se désespère d’y songer, comme tant d’autres. Cette solitude, ce spleen et ce climat triste, supportés quatre ans, usent sa résistance. Il revient au Cambodge à ses frais pour ne plus le quitter. Retiré dans sa rustique maison de bois, nichée dans la bordure au bord de la rivière, il y a vécu les quinze dernières années de sa vie, partageant ses loisirs entre la rédaction de petits articles, la lecture et la musique classique, surtout Wagner, que lui dispensait son précieux électrophone.
Devenu très faible, il n’avait plus la force de retourner voir ses chers temples et en souffrait. Un séjour de plusieurs moi que je fis en 1965 à Siem-Réap permit que je lui procure les dernières joies. A chaque expéditions que j’allais dans les ruines (mes bien-aimées aussi), je passais le prendre. Arrivés au sanctuaire, il était si frêle que je le soulevais facilement dans mon bras, par la taille, pour lui faire franchir un perron ou un passage difficile. Je le laisse en bas, rayonnant de bonheur, s’enivrer de regarder et d’errer doucement, pendant que je gravissais les étages ou circulais partout.
Il me répétait souvent qu’il envisageait la mort sans appréhension, sentant trop le poids de son âge et satisfait d’une carrière si heureuse. La chance lui évita maladie ou déchéance et son cerveau demeura lucide jusqu’à la fin. Une nuit, il partit doucement dans son sommeil.
Aujourd’hui les cendres de ce corps mince et léger, qui fut incinéré sur un bûcher cambodgien, suivant son désir, sont mêlées au sable doré d’une pagode.
Fasse Bouddha que l’âme qui s’en échappa ignore le désastre des splendeurs pour lesquelles il vécut…
Jeanne LEUBA

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