Les souvenirs

Publié le par oth

Mon Carnet de Lectures

Titre : Les souvenirs

Auteur : David Foenkinos

Editeur : Gallimard

Date de Lecture : janvier 2012

 

 

  

 

 

Résumé : En feuilletant des bouquins à la veille du jour de l’an dans une librairie de mon quartier, je suis tombé sur ces deux phrases : « Je voulais dire à mon grand-père que je l’aimais, mais je n’y suis pas parvenu. J’ai si souvent été en retard sur les mots que j’aurais voulu dire. Je ne pourrai jamais faire marche arrière vers cette tendresse.»  Ces regrets sont aussi des miens. Surtout pendant cette période de fin d’année, je pense beaucoup à mes chers disparus.  Et je me disais voilà ce qu’il me fallait pour m’aider à passer les derniers jours de 2011. Encore un roman triste, dites-vous ! Pas du tout, rassurez-vous, l’auteur a cette grâce de savoir raconter des choses graves en glissant de la fantaisie, de l’humour, de la tendresse, de l’amour jusque dans le récit de ce qui nous serre le cœur. La preuve, je suis sorti ravi de ce livre.  Si comme moi, vous croyez que personne n’arrive pas par hasard sur votre chemin de la vie : elle est là pour vous apporter quelque chose, alors lisez ce livre.

Patrick, c’est ainsi qu’il se fait appeler dans le roman, a des souvenirs de chacun de ses proches.

 

Il se rappelle  de son grand-père, d’abord. Pour lui son grand-père est une personne importante,  avec qui, dit-il, « mon enfance est une boîte pleine de nos souvenirs. » Ils s’amusaient ensemble comme des gamins. Cette période de bonheur s’est terminée par un accident de son grand-père : il se faisait glisser sur une savonnette en faisant sa douche. Comme quoi, encore une fois, dans la vie, tout peut arriver. Un accident domestique tout à fait banal le condamnait désormais à vivre dans le calvaire « comme si il devait rattraper une vie entière de bonne santé.»

 

Il se rappelle de sa grand-mère, ensuite. Après la disparition de son mari, « son monde n’existait plus ». Et ensuite, quand ses enfants l’avaient placée sans son accord dans une maison de retraite, alors elle sentait comme une trahison. Et c’est le commencement de la fin. Je ne vous dirai pas plus. J’ai trouvé ce chapitre très beau, touchant. Une belle réflexion sur la vieillesse, les maisons de repos, les relations entre les générations.

Un bel hommage de l’auteur à sa grand-mère.

 

Il se souvient de son père, un homme un peu singulier, mais attachant. Les relations entre  Patrick et son père n’ont pas été toujours au point fixe. Ils ne se communiquaient que rarement.  Le père s’intéressait-il au fils ? D’après le fils, bien sûr, la réponse est non. Et le fils alors, a-t-il essayé de comprendre son père ? Pas vraiment ! Le fils et le père avaient très peu de point commun. Entre eux, existait une barrière de l’incompréhension.  Mais enfin qui a la prétention de connaître vraiment ses proches ? Voilà le mystère de la vie. Et ce roman n’a fait que refléter cette réalité de la vie familiale.

 

Il se rappelle de sa mère, une femme un peu singulière, elle aussi. Une femme moderne ? Selon le fils, elle ne montre pas beaucoup d’affection pour lui, ni pour son mari. D’ailleurs on n’est pas sûr si vraiment elle l’aimait. Le père oui, il était amoureux de sa femme, enfin à sa façon.  En tout cas, c’est une personne qui a mal dans sa peau, un peu dépressive.  Et c’est à la suite de cette dépression  qu’elle tombait amoureuse d’un professeur d’allemand, plus jeune que son fils, rencontré dans une clinique de soins.

 

Il se rappelle de ses amours avec les femmes qu’il n’avait aucune chance de fréquenter.  Il se rappelle enfin de son coup de foudre avec Louise, une institutrice d’Etretat. Ils ont passé de bons moments ensemble, en amoureux.  Puis le mariage, et un enfant qui s’ensuivait. Et puis la rupture…

 

Le romancier est un moraliste. Ce qu’il raconte est un message pour dire que chacun de nos proches mérite d’être raconté.  Ce livre évoque une poignée de gens d’une famille ordinaire.  Leur témoignage est à la fois singulier et universel.  Il est pour nous une belle réflexion de vie.

 

Mes passages préférés :

 

« Il pleuvait tellement le jour de la mort de mon grand-père que je ne voyais presque rien. Perdu dans la foule des parapluies, j'ai tenté de trouver un taxi. Je ne savais pas pourquoi je voulais à tout prix me dépêcher, c'était absurde, à quoi cela servait de courir, il était là, il était mort, il allait à coup sûr m'attendre sans bouger. 

Deux jours auparavant, il était encore vivant. J'étais allé le voir à l'hôpital du Kremlin-Bicêtre, avec l'espoir gênant que ce serait la dernière fois. L'espoir que le long calvaire prendrait fin. Je l'ai aidé à boire avec une paille. La moitié de l'eau a coulé le long de son cou et mouillé davantage encore sa blouse, mais à ce moment-là il était bien au-delà de l'inconfort. Il m'a regardé d'un air désemparé, avec sa lucidité des jours valides. C'était sûrement ça le plus violent, de le sentir conscient de son état. Chaque souffle s'annonçait à lui comme une décision insoutenable. Je voulais lui dire que je l'aimais, mais je n'y suis pas parvenu. J'y pense encore à ces mots, et à la pudeur qui m'a retenu dans l'inachèvement sentimental. Une pudeur ridicule en de telles circonstances. Une pudeur impardonnable et irrémédiable. J'ai si souvent été en retard sur les mots que j'aurais voulu dire. Je ne pourrai jamais faire marche arrière vers cette tendresse. Sauf peut-être avec l'écrit, maintenant. Je peux lui dire, là. 

Assis sur une chaise à côté de lui, j'avais l'impression que le temps ne passait pas. Les minutes prétentieuses se prenaient pour des heures. C'était lent à mourir. Mon téléphone a alors affiché un nouveau message. Je suis resté en suspens, plongé dans une fausse hésitation, car au fond de moi j'étais heureux de ce message, heureux d'être extirpé de la torpeur, ne serait-ce qu'une seconde, même pour la plus superficielle des raisons. Je ne sais plus vraiment quelle était la teneur du message, mais je me rappelle avoir répondu aussitôt. Ainsi, et pour toujours, ces quelques secondes insignifiantes parasitent la mémoire de cette scène si importante. Je m'en veux terriblement de ces dix mots envoyés à cette personne qui n'est rien pour moi. J'accompagnais mon grand-père vers la mort, et je cherchais partout des moyens de ne pas être là. Peu importe ce que je pourrai raconter de ma douleur, la vérité est la suivante : la routine m'avait asséché. Est-ce qu'on s'habitue aux souffrances ? Il y a de quoi souffrir réellement, et répondre à un message en même temps. 

Ces dernières années n'avaient été pour lui qu'une longue déchéance physique. Il avait voyagé d'hôpital en hôpital, de scanner en scanner, dans la valse lente et ridicule des tentatives de prolonger notre vie moderne. A quoi ont rimé tous ces derniers trajets en forme de sursis ? Il aimait être un homme ; il aimait la vie ; il ne voulait pas boire avec une paille. Et moi, j'aimais être son petit-fils. Mon enfance est une boîte pleine de nos souvenirs. Je pourrais en raconter tellement, mais ça n'est pas le sujet du livre. Disons que le livre peut commencer ainsi, en tout cas. Par une scène au jardin du Luxembourg où nous allions régulièrement voir Guignol. On prenait le bus, on traversait tout Paris, ou peut-être ne s'agissait-il que de quelques quartiers, mais ça me paraissait démesurément long. C'était une expédition, j'étais un aventurier. Comme tous les enfants, je demandais à chaque minute : 
« On arrive bientôt ? 
- Oh, que non ! Guignol est au bout de la ligne », répondait-il systématiquement. 
Et pour moi, le bout de cette ligne avait le goût du bout du monde. Il regardait sa montre pendant le trajet, avec cette inquiétude calme des gens qui sont toujours en retard. On courait pour ne pas rater le début. Il était excité, tout autant que moi. Il aimait forcément la compagnie des mères de famille. Je devais dire que j'étais son fils, et non son petit-fils. Au-delà de la limite, le ticket pour Guignol était toujours valable. 

Il venait me chercher à l'école, et ça me rendait heureux. Il était capable de m'emmener au café, et j'avais beau sentir la cigarette le soir, face à ma mère il niait l'évidence. Personne ne le croyait, et pourtant il avait ce charme énervant de ceux à qui l'on ne reproche jamais rien. Toute mon enfance, j'ai été émerveillé par ce personnage joyeux et facétieux. On ne savait pas très bien ce qu'il faisait, il changeait de métier tout le temps, et ressemblait plus à un acteur qu'à un homme ordinaire. Il avait été tour à tour boulanger, mécanicien, fleuriste, peut-être même psychothérapeute. Après l'enterrement, ceux de ses amis qui avaient fait le déplacement m'ont raconté de nombreuses anecdotes, et j'ai compris qu'on ne connaît jamais vraiment la vie d'un homme. »

 

« Elle vit soudain à quel point elle n’était plus une mère, mais un poids. Est-ce que cela la ligne de démarcation de la véritable vieillesse ? Quand on devient problème ? C’était insoutenable pour elle qui avait vécu librement, sans dépendre de personne. Alors,  pour tout simplifier, elle avait soufflé : d’accord.

Il avait toujours considéré sa femme comme une priorité dans sa vie. Mais là où de nombreuses épouses auraient apprécié cette hiérarchie émotionnelle, ce n’était pas tout à fait le cas de la sienne.

Un souvenir de Yasunari Kawabata : « Nous avons été frappé par la mort, et cela nous donne l’obligation de l’aimer. » « La mort donne l’obligation de l’aimer. »

« Plusieurs fois, je me suis réveillé sans savoir où j’étais. Il me fallait alors quelques secondes pour distinguer les contours de ma chambre, et de ce point de départ visuel découlait le retour conscient à la situation. J’ai pensé que le bonheur se trouvait peut-être, au début de l’éveil, quand on ouvre les yeux sur notre vie, quasiment surpris d’être nous. Cet instant ressemble aux  souvenirs que l’on peut avoir de son enfance, ces bribes étranges qui passent les années sans qu’on sache vraiment pourquoi.

Au passage, je m’arrête pour une question qui m’obsède : pourquoi ne souvient-on pas de l’enfance ? »

 

Ong Thong Hoeung

 

Publié dans Littérature

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